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« Passer sous un arc de triomphe, c'est aussi passer sous le joug », affirme Paul Valéry. Serait-ce pour cette raison que Marie cherche forcément à déplaire ?
Je regarde mon pied bleu et mon mollet bleu : ci-gît l'espoir de prendre un bain de mer, de faire une promenade à bicyclette, de gérer mon quotidien de manière autonome. Par contre, en levant les yeux sur les rayons de ma bibliothèque, je sais ce qu'il me reste à faire : lire ou relire.
Elle aime manipuler ses livres de papier et griffonner des commentaires sur les pages imprimées. Elle repousse le moment de connaître les joies virtuelles de la lecture numérique. Elle a l'impression étrange d'être une archéologue en prenant un livre dans sa bibliothèque. Le livre en papier lui semble déjà une chose ancienne qu'il faut préserver. Elle ne se sent pas prête encore à glisser sur la poésie, le roman, le théâtre comme une patineuse qui erre et se perd.
271
Quand j'étais une petite fille, je vivais tout le jour sous les branches tombantes d'un gigantesque saule pleureur. Je grandissais à l'abri de son feuillage léger qui bruissait au vent frais, un frisson d'aise m'envahissait alors. À présent, je me fais froid dans le dos avec mes idées noires.
L'enfer, c'est les Autres mais il m'appartient d'y vivre seule.
Martine et Ségolène font une virée en Poitou.
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MARIE (à la librairie « Au plaisir de lire de la littérature pointue »). — Bonjour, madame, je recherche un ouvrage à propos du mouvement childfree...
LA LIBRAIRE (tapotant sur le clavier de son ordinateur sans lever les yeux vers son interlocutrice). — Allez voir dans les rayons « maladie » ou bien « famille ».
Le poète au bord des larmes se souvient qu'il vit du parfum d'un vase vide.
Quand tout devient somatique. Quand l'esprit se confond avec le corps qui s'obstine dans le déséquilibre.
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« Dès que tu trouves une loi dans la nature, elle change ! », s'enthousiasme le chercheur.
« Dès que tu cesses de t'apprivoiser tu deviens ta propre bête noire ! », remarque Marie.
Au matin, elle était la plus belle pour être passée au scanner !
La mégère au pied œdématié occupe ses matinées, ses journées et ses soirées à râler. Faites-la taire ! Une saison en enfer domestique...
268
« Avanie et Framboise
Sont les mamelles du Destin ! », ironise Boby Lapointe.
« Béquilles et orthèse
Sont les soutiens de mon Destin ! », soupire Marie.
Tu râles devant les actualités télévisées mais tu continues à faire des bébés.
Nos vies sont éparses, prisonnières de leurs trajectoires individuelles. Nous n'avons aucune chance de nous rencontrer ailleurs que dans le roman. (*) Il aurait mieux valu pour nous rester des personnages de fiction ! N'est-ce pas mon ange ?, médit la mégère en regardant son poète préparer le repas.
(*) Éric Chevillard, L'Autofictif père et fils, L'Arbre Vengeur éditions.
267
À quoi bon se poser la question : « à quoi sert-on ? » quand on n'est pas un outil ?
À quoi bon vivre au mois de mai si c'est pour ne pas faire ce qu'il me plaît ?
« Orthopédique » est une entrée dans le dictionnaire des plaintes de Marie.
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La douleur est revenue toute nue, cruellement présente - insolente.
Pour l'infirmière libérale qui me rend visite à domicile le soir, je ne suis qu'un ventre qu'elle pique à droite ou à gauche. Elle ignore que mon ventre ne lui fabriquera jamais un nouveau patient.
Le poète attentionné lutte afin de ne point étrangler la mégère à la cheville foulée.
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Ce soir au café « La gougoutte à pépé » à Ixelles en Belgique on célèbre la Fête des Non-Parents, les vrais héros de notre temps ! (*) Cette journée spéciale rend hommage à tous ceux/celle qui ont choisi de ne pas se reproduire par amour pour l'enfant qu'ils n'auront jamais : il est vrai qu'il fait de moins en moins bon naître dans notre société darwinienne et que le néant reste la meilleure citadelle contre les assauts du destin ou les ravages de l'inflation. (*) Je me sens soulagée de ne pas être toute seule à jouer dans la cour de l'insolence !
De mon immobilité forcée surgit le temps qui ne passe pas.
En ce jour de fête, Marie lit à haute voix une pensée de Pessoa « À la gloire des femmes stériles. Si, parmi toutes les femmes de la terre, je viens quelque jour à prendre une épouse, demande ceci dans tes prières : que, d'une façon ou d'une autre, elle soit stérile. Mais, si tu pries pour moi, demande que je ne vienne jamais à prendre cette épouse imaginaire. Seule est noble, seule est digne la stérilité. Seul le meurtre de ce qui n'a jamais été est rare, sublime autant qu'absurde. »
(*) propos de Frédérique Longrée et Théophile de Giraud, initiateurs et organisateurs de la Fête des Non-Parents, recueillis par le journal belge Le Soir.
264
« Débarouler » est une entrée dans le dictionnaire de la hâte de Marie.
« Agir, c'est connaître le repos. », devine Pessoa. Quelle agitation en moi de ne point pouvoir agir ! Clouée sur mon fauteuil comme un coléoptère épinglé dans la vitrine d'un entomologiste.
Au loin, un enfant se plaint ; en moi croît une plainte plus franche encore !
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Une seule cheville enflée et tout est désorganisé.
J'ai fui la blogosphère, j'ai subi un accident domestique, je porte une orthèse de stabilisation de la cheville gauche. Qu'allais-je faire hors de la blogosphère ?
Si on pouvait photographier nos rêves ! Quel cauchemar ce serait !