Train
Ils s'embrassent sur le quai de la gare. Elle monte dans le train, s'assied contre une vitre sale qui la sépare de son amoureux. Il fouille dans sa sacoche, en retire un mouchoir, va-t-il se moucher ? Essuiera-t-il une larme ? Il utilise son mouchoir pour essuyer la poussière sur la vitre — galant homme. Sa bien-aimée pourra ainsi apprécier le paysage durant son voyage.
Infatigable amour.
Accélération
Et le rythme de la vie s'accélère mais Marie ralentit son pas.
Elle prend tout son temps pour relire les phrases qu'elle admire.
La littérature cadence les jours de Marie.
Retarder
Folle créature, Marie retarde la rédaction de son nouvel article...
elle visionne le film King Kong (version 2005) à la télévision.
Folle créature, Marie retarde la rédaction de son nouvel article...
un nouveau King Kong est programmé aussi au cinéma cette semaine.
Folle créature, Marie retardera encore la rédaction de son nouvel article...
son cher grand frère ne doit-il pas prochainement lui rendre visite ?
Commencer
Marie, folle créature, commence la rédaction d'un nouvel article...
mais il est bientôt l'heure de son rendez-vous chez le coiffeur.
Marie, folle créature, recommence la rédaction d'un nouvel article...
mais il est déjà l'heure de partir se promener.
Marie, folle créature, reprendra la rédaction d'un nouvel article...
mais il sera nécessaire de vérifier l'heure pour ne pas rater son prochain train qui l'emmènera ailleurs, loin de son article encore incréé.
Repentir
Pardon, pardon, je crois qu’il y a méprise, je n’ai pas écrit l’histoire de Ronce-Rose pour qu’elle fasse la saison littéraire puis soit ensevelie sous les romans de la rentrée de printemps, mais afin qu’elle s’inscrive à jamais dans la mémoire et l’imaginaire du monde comme celle d’Alice, il me paraît important de dissiper ce petit malentendu idiot.
Pardon, pardon, je crois qu’il y a méprise, je n’ai pas écrit l’histoire de Ronce-Rose pour qu’elle fasse la saison littéraire puis soit ensevelie sous les romans de la rentrée de printemps, mais afin qu’elle s’inscrive à jamais dans la mémoire et l’imaginaire du monde, il me paraît important de dissiper ce petit malentendu idiot.
Tel l'artiste peintre, l'écrivain a recours au repentir. Quand le lecteur peut surprendre ce geste, il a l'impression d'entr'apercevoir la nudité de l'écrivain au travail.
Cette fragilité émeut le lecteur qui découvre sa connivence avec l'auteur.
Suffisante complicité.
Motivations
(dialogue conjugal dès potron-minet)
LE PEINTRE (amusé). — Serait-ce ma cuisine qui te retient auprès de moi depuis bientôt vingt-huit années ?
LA MUSE (inspirée). — Ta cuisine alimentaire et pigmentaire, cher maître.
Notes
Toutes ces notes vocales, manuscrites, tapuscrites : qu'en faire ?
Donner chair à mon ennui ?
Faire la preuve que je suis en vie ?
Critique
Le critique se réveilla en pleine nuit avec une idée toute rédigée qui envahissait son esprit lucide, il chercha dans l'obscurité l'interrupteur de sa lampe de chevet, tâta le mur avant que la lumière n'éclaire la table de nuit sur laquelle il ne trouva qu'un bout de papier vierge pas plus grand qu'un marque-page.
Il inscrivit au crayon à papier avec une écriture minuscule les phrases qui encombraient sa mémoire récente.
Rapidement, le bout de papier fut noirci de graphite. Il dut ouvrir les livres qu'il n'a pas su écrire, posés à côté de lui et continuer à écrire sur leurs pages vierges.
Les pieds dans le plat
Lorsque tu étais une enfant lyonnaise, tu passais avec ta chère mère Yvette — qui était encore vivante — devant la devanture d'un restaurant situé au cœur du Vieux Lyon sur laquelle tu pouvais déchiffrer l'enseigne : Les pieds dans le plat. Tu imaginais alors que les grandes personnes mangeaient effectivement, leurs pieds dans les plats qu'on leur servait. Cela t'épouvantait.
Lorsque tu étais une enfant lyonnaise, toute personne ayant un comportement suspect « sortait du Vinatier » (le centre hospitalier Le Vinatier étant un établissement de soins psychiatriques). Tu imaginais que les grandes personnes pouvaient devenir folles. Cela t'épouvantait.
Reconnaissance
Marie, folle créature, part en reconnaissance sur Internet pour choisir et repérer les gares, les trains, les correspondances, les horaires, l'hôtel, les trajets en taxi, à pied, les restaurants, les bars, les lieux de rencontres littéraires auxquelles elle voudrait assister.
Elle scrute les cartes, les plans ; elle épluche les informations tarifaires, les fiches de présentation des écrivains invités, les fiches descriptives des chambres d'hôtels, les menus des petits déjeuners, les thèmes abordés lors des interventions programmées des écrivains.
Marie s'agite dans un espace qu'elle n'occupe pas encore.