Tendresse
« Au fond, nous vieillissons, nous tuons tout ce qui nous aime par les soucis que nous lui donnons, par l'inquiète tendresse elle-même que nous inspirons et mettons sans cesse en alarme. »
Marie s'émeut sur ses relations qu'elle comprend mieux ainsi : l'alarme émotionnelle qui se déclenche en permanence. Ultrasensible.
L'impossibilité de vivre sans que tout soit en alarme chez elle.
Une existence toujours armée.
Café
(Au café, bien calés dans une banquette en simili-cuir, deux vieux poivrots devisent ensemble sur l'actualité.)
L'UN. — Rien n'est précaire comme vivre/Rien comme être n'est passager...
L'AUTRE. — C'est le désordre !
Sables mouvants
Marie souhaiterait pouvoir se fier à ses perceptions mais souvent son esprit s'enfonce dans les sables mouvants du doute.
Son environnement devient alors hostile, impraticable. Incompréhensible.
Marie cherche alors une phrase, puis un texte, puis un livre pour ne pas perdre le sens de la réalité.
Dessert
Une petite fille accroupie au bout de la jetée, un bâton qui serait un rouleau à pâtisserie, une pierre de lave qui serait de la pâte, un gâteau minéral pour un repas magique avec une amie invisible.
Le bonheur d'exister dans un monde pour de faux.
Comme si c'était vrai.
Rêves de Sirènes
Alors, de mon poignard en bronze, je divise un grand gâteau de cire ; à pleines mains, j'écrase et pétris les morceaux. La cire est bientôt molle entre mes doigts puissants. De banc en banc, je vais leur boucher les oreilles ; dans le navire alors, ils me lient bras et jambes et me fixent au mât, debout sur l'emplanture, puis chacun en sa place, la rame bat le flot qui blanchit sous les coups.
Marie dort désormais avec des bouchons d'oreille afin de ne plus succomber aux chants puissants du ronfleur qui l'entraînent hors du sommeil.
Ainsi, chaque nuit, Marie quitte vraiment le monde.
La nuit : cette course en solitaire.
Abîme
Dans les écrits bouddhiques, il est souvent question de « l'abîme de la naissance ». Elle est bien un abîme, un gouffre, où l'on ne tombe pas, d'où au contraire l'on émerge, au plus grand dam de chacun.
Cette émergence qui chaque matin nous rend encore vivants et frémissants.
Cette vie en nous qui ne lâche pas prise.
Fidèle.
Silence
Au matin, tu te cognes à ton propre silence en regardant défiler l'humanité sur le chemin de la plage derrière la vitre teintée qui te protège d'elle, l'humanité si vorace, si pullulante, si souffrante, si douloureuse, si généreuse, si fragile, si inquiète, si touchante, si ingénieuse, si dangereuse, si déconcertante.
Tous ces corps qui cherchent la chaleur et le délassement.
Organismes modifiés par la conscience.
Érostrate
Et Érostrate, c'était son nom, n'a même pas pris la fuite. Il a revendiqué l'attentat, fier comme un paon. À son procès, il a dit que la beauté du temple l'humiliait, l'oppressait. Il se rendait compte qu'il ne serait jamais capable d'une telle splendeur. « Mais si on ne peut pas bâtir un temple, on peut toujours l'incendier. » Il voulait devenir immortel comme l'architecte.
Marie est heureuse de faire la connaissance d'Érostrate qui désormais lui tiendra compagnie.
Une amitié naissante.
Un sentiment d'appartenance.
Paysage intérieur
La disparité entre tout paysage intérieur et les mots écrits ou prononcés est aussi essentielle qu'entre l'objet et sa représentation plastique, tout modèle demeurant informulé. Géométrie secrétissime, les motifs s'intègrent dans un système de correspondances si particulier que chaque valeur s'établit hors de tout signe. Superfluité de l'hermétisme, donc.
Voici de quoi te nourrir spirituellement pour la journée entière.
Gabrielle Wittkop t'accompagne depuis si longtemps qu'il te semble qu'elle fît ton éducation.
Sinon, qui d'autre ?
Aération
Marie aère son microenfer domestique alors que le vent souffle très fort dehors qui s'engouffre dedans, soulève une toile vierge posée sur le chevalet, la fait tournoyer dans l'atelier avant qu'elle ne tombe sur le carrelage.
Le vent jaloux du créateur.