Pitié
— Quand la pitié me lacère intolérablement, que me reste-t-il sinon jeter des pierres à ceux qui l'ont fait naître ?
Cette pitié, tu la ressens envers toi-même surtout...
Immanquablement.
Ta pierre d'achoppement.
Complexité
Macabre découverte. Une douzaine d’autobiographes disloqués gisaient au fond de ce trou de mémoire traîtreusement creusé dans le bac à sable d’un jardin d’enfants.
Tu apprécies vivement les phrases complexes qui peuvent te faire hésiter à propos de leur sens véritable.
Autant d'interprétations selon ton humeur du jour.
La lecture comme casse-tête de l'esprit.
Notices
mortels
Il nous a faits mortels ! Mais ça ne Lui a pas suffi : il a fallu qu'Il nous décide cons.
Marie étale à plat sur une grande table les longues notices des médicaments que devra ingurgiter son bien-aimé.
Cette littérature médicale la débecte. Lui, ne lit pas ce genre-là.
Il préfère parcourir Le DICODARD, un recueil qui réunit pas moins de 3000 citations piochées par Pierre Chalmin dans l'œuvre de Frédéric Dard.
Corps médical
Marie craint l'envahissement de la sphère privée par le corps médical, si encombrant, si dérangeant, si pressant, si inquiétant, si délirant, si grotesque, si têtu, si douloureux, si envahissant, si étouffant, si humiliant, si nerveux, si fragile, si prétentieux, si incompréhensible, si raide, si muet...
Marie n'aura pas affaire à lui cette fois-ci.
Marie échappe à son emprise. Jusqu'à quand ?
Seuil
Marie ne sait pas ce qu'aujourd'hui sera : elle attend la lecture de résultats d'analyse qui pourraient modifier son existence qu'elle trouve déjà suffisamment pénible dans l'état actuel des choses, sa propre condition humaine.
Il ne s'agit pourtant pas de son propre corps.
Que craint-elle tant Marie ?
Soucis
Tellement de soucis s'entrechoquent dans l'esprit de Marie qu'ils finiront bien par s'autodétruire, non ?
Ou alors, ces soucis qui s'entrechoquent finiront par détruire son esprit.
Cela mettrait fin à la souffrance.
Atmosphère
Marie consulte un site de prévision météorologique qui annonce une matinée ensoleillée ; elle regarde par la fenêtre progresser dans le ciel des masses nuageuses très sombres.
Marie actualise la page Internet mais dehors rien ne change : le ciel s'obscurcit encore.
La réalité numérique est trompeuse constate Marie.
Bêtise
LE PASSANT (s'adressant à ses amis derrière lui et se penchant la tête en avant au seuil de la porte d'entrée de la galerie). — Je ne vois jamais personne entrer ici...
MOI (augmentant le son de la radio diffusant un air de musique classique). — Montrez l'exemple alors...
Papillon
Tu découvres dans le pot où tu conserves le tégument de psyllium blond que tu consommes quotidiennement un papillon vivant.
Tu l'observes remuer dans la poudre grossière sans t'émouvoir. Tu n'as pas le réflexe d'utiliser ton appareil photographique pour tenter une identification future de l'insecte.
Tu prélèves la bestiole avec une cuillère à café et tu la jettes dans le lavabo en prenant soin de laisser couler l'eau pour que l'intruse soit évacuée.
Incurieuse tu es.
Éléphant
C'est s'emballer pour des bricoles que de croire à ce qu'on fait ou à ce que font les autres. On devrait fausser compagnie aux simulacres et même aux « réalités », se placer en dehors de tout et de tous, chasser ou broyer ses appétits, vivre, selon un adage hindou, avec aussi peu de désirs qu'un « éléphant solitaire ».
Marie relit inlassablement cette phrase cioranesque en prenant conscience qu'elle se comporte, pour ce qui la concerne, comme un singe exalté.