Désannulation
« Voilà donc l'autre annulé sous l'amour : de cette annulation, je tire un profit certain ; dès qu'une blessure accidentelle me menace (une idée de jalousie, par exemple), je la résorbe dans la magnificence et l'abstraction du sentiment amoureux : je m'apaise de désirer ce qui, étant absent, ne peut plus me blesser. Cependant, aussitôt, je souffre de voir l'autre (que j'aime) ainsi diminué, réduit, et comme exclu du sentiment qu'il a suscité. Je me sens coupable et je me reproche de l'abandonner. un revirement s'opère : je cherche à le désannuler, je m'oblige à souffrir à nouveau. »
Tu lis Barthes et tout s'éclaire. La lecture de ses Fragments te permet de réorganiser tes propres pensées fragmentaires pour qu'elles forment à présent un ensemble cohérent.
Ainsi ton discours amoureux deviendrait-il plus évident ?
Qu'en pense-t-il celui qui partage ton existence ?
Vintage
Tu apprends que ton matériel informatique est « vintage », c'est-à-dire obsolescent.
Tu t'interroges : qui te dira un jour que toi aussi tu tends à devenir périmée ?
L'angoisse de la modernité obligatoire.
Épreuve de réalité
Tu effectues des démarches administratives et cela te précipite dans un univers glaçant de fonctionnaires dépressifs qui ne comprennent plus les textes qu'ils sont cessés faire appliquer auprès des demandeurs tels que toi.
Quand tu croises leurs regards, tu crois y reconnaître des signes de folie.
Tu entends leurs rires — nerveux.
Effondrement
« la crainte clinique de l'effondrement est la crainte d'un effondrement qui a été déjà éprouvé ("primitive agony") [...] et il y a des moments où un patient a besoin qu'on lui dise que l'effondrement dont la crainte mine sa vie a déjà eu lieu » [Winnicott]. De même, semble-t-il, pour l'angoisse d'amour : elle est la crainte d'un deuil qui a déjà eu lieu, dès l'origine de l'amour, dès le moment où j'ai été ravi. Il faudrait que quelqu'un puisse me dire : « Ne soyez plus angoissé, vous l'avez déjà perdu(e). »
LÉO FERRÉ — Qui donc réparera l'âme des amants tristes Qui donc réparera l'âme des amants tristes Qui donc réparera l'âme des amants tristes Qui donc ?
MARIE — La Mort...
Crime assisté
« Ces gens ne se posent en effet aucune question quand ils font un enfant, bien qu'ils sachent pourtant que faire un enfant, et surtout un enfant à soi, signifie provoquer un malheur, et que, par conséquent, faire un enfant et faire un enfant à soi n'est rien de plus qu'une infamie. Et quand l'enfant est fait, dit Oehler, ceux qui l'ont fait se font payer cet enfant, cet enfant fait librement. Pour ces millions et ces millions d'enfants faits librement, c'est l'État qui doit pourvoir, pour ces enfants parfaitement superflus comme nous le savons, qui n'ont apporté rien de plus que des malheurs nouveaux, par millions. Mais l'hystérie de l'histoire, dit Oehler, ignore qu'avec tous les enfants faits il s'agit de malheur et de superflu qu'on a faits. on ne peut éviter de reprocher aux faiseurs d'enfants qu'ils aient fait ces enfants qui sont les leurs sans réfléchir, de la manière la plus vulgaire et la plus basse, bien que, comme nous le savons, ils ne soient pas irréfléchis. Pas de plus grande catastrophe, dit Oehler, que tous ces enfants faits sans réfléchir, pour lesquels l'État — qu'on a trompé avec ces enfants — doit payer. Celui qui fait un enfant, dit Oehler, mérite la peine maximale et aucune assistance. Seul ce soi-disant enthousiasme social de l'État, parfaitement faux — et qui, nous le savons, n'est absolument pas social et dont il faut dire qu'il n'est rien de plus que le moins ragoûtant des anachronismes — est responsable de ce que le crime qui consiste à faire un enfant et à mettre un enfant en ce bas monde — que je qualifie de plus grand des crimes — dit Oehler, que ce crime, dit Oehler, n'est pas puni, mais au contraire assisté. »
Tu éclates de rire en découvrant ces lignes bernhardiennes qui épousent parfaitement celles que tu n'oses pas formuler.
Ces phrases de défaitiste t'aident à croire que tu as réussi ta vie en ne mettant pas un enfant au monde.
Et sinon, qu'as-tu fait d'autre durant ton existence ?
Entêtement
Rien ne ressemble plus à la vive persuasion que le mauvais entêtement
Le désir n'est pas seulement l'empâtement d'une conscience par sa facticité, il est corrélativement l'engluement d'un corps par le monde ; et le monde se fait engluant, la conscience s'enlise dans un corps qui s'enlise dans le monde
Marie souffre d'un mauvais entêtement dans sa recherche de la perfection.
Elle finit par se persuader elle-même qu'elle progresse alors qu'elle s'enlise en d'horribles tourments.
Marie est épuisée.
Politesse
MARIE (se penchant vers l'enfant qui fait une chute à bicyclette) — Ça va ?
L'ENFANT (reconnaissant) — Oui !
(Marie ne changera donc pas de discours)
Salutations
MARIE — Bonsoir, ça va ?
LE MAÎTRE DE CÉRÉMONIE — Non !
MARIE — Bonsoir, ça va ?
LA MAÎTRESSE DE CÉRÉMONIE — Non, j'ai une migraine !
(Marie devrait peut-être poser une autre question)
Chance
Marie se lève parfois le matin avec l'étrange impression d'avoir manqué de chance dans le passé.
Son présent n'est pas plus satisfaisant mais Marie ne ressent pas le regret du présent.
Cela viendra plus tard.
Rêves
LUI — J'ai rêvé cette nuit que j'avais un stigmate au petit orteil : un clou avait transpercé mon doigt de pied, le clou avait disparu, la plaie avait cicatrisé sans que le trou laissé par le clou ne se bouche. On pouvait voir au travers de mon petit orteil.
ELLE — Pour ma part, j'ai rêvé cette nuit que j'escaladais des murailles en ruine.