Royaume individuel
Je bois un café servi avec des plaques de chocolat dans une coupelle au sein d'un établissement réputé où tout n'est que luxe, calme et volupté. Quand soudain, j'aperçois derrière la vitre un vagabond voûté qui agit de manière incompréhensible : il sort du sac en papier qui contient son achat, un royaume individuel, une brioche des rois, cette viennoiserie — comme un butin — qu'il avale entièrement en l'enfonçant jusqu'à la gorge sans mâcher ni avaler. Il avance la bouche pleine. Personne ne lui retira son royaume individuel de la bouche.
Bientôt la nouvelle année...
... il va falloir y aller... cela ne devrait pas être si difficile avec tous ces joyeux lurons qui m'entourent et qui ne demandent qu'à être là... ces gens-là... mes semblables... mes congénères... les individus de mon espèce... ces bienheureux... ravis de la crèche... qui se consolent de leurs chagrins par la moindre futilité... aimablement reconnaissants de leur misérable condition humaine... je n'oublierai pas de carafer le vin...
Exploit
Ce préadolescent, rougeaud, avance avec ses patins à roulettes ; il est vêtu d'une doudoune qui le fait paraître gros. Il porte un casque ridicule sur lequel est fixé une GoPro, une caméra portative, qui est sensée filmer ses exploits de patineur urbain. Mais quand je le regarde, j'observe un jeune garçon qui paraît nullement taillé pour l'aventure et encore moins pour la réalisation d'un exploit quel qu'il soit. Ou bien, étonnera-t-il son public en filmant sa propre chute dans les eaux du port parce qu'il aura quitté la ligne rassurante du quai, distrait qu'il aura été par ses songeries de gloire future sur les réseaux sociaux. Ses singeries auront du succès.
Poésie
« Rater sa vie, c'est accéder à la poésie — sans le support du talent. »
Je le savais ! Je fais donc œuvre poétique... Cela me paraît bien suffisant.
Digne d'intérêt
Que s'est-il passé durant ta journée qui soit digne d'intérêt ? Ton désintérêt...
Larme
« Le satiriste n'est pas un sceptique. Il a des idéaux. Il n'est pas loin d'être naïf. Il croit que l'on peut dissoudre l'imposteur, l'exploiteur ou le tyran dans un bain d'ironie. On lui voit un vilain rictus : c'est le doux sourire de la déconvenue. Et si son œil distingue si bien les travers et les ridicules de l'ennemi, peut-être doit-il cette sagacité à l'effet loupe de sa larme ? »
« L’escalier a certainement été conçu pour monter, pour s’élever, par un architecte plein de fougue et d’ardeur qui croyait à l’essor de l’humanité. Mais son invention, comme il en va de toute invention géniale, fut détournée de son noble objectif. Et les fainéants, les cyniques, les pessimistes, les nihilistes et les rabat-joie en profitèrent pour redescendre quatre à quatre, certains même en se laissant glisser sur la rampe. »
Pour ce qui me concerne, sans le satiriste, l'existence aurait un goût amer. Une impression de déjà-vu, déjà-su, déjà-vécu. Avec le satiriste, tout semble neuf et à portée de rire.
Champagne
Ainsi, tu n'iras pas te coucher tant que tu n'auras pas fini la dernière part de bûche au champagne rosé et à la framboise qui tapissera ton palais et te fera pétiller de joie suspecte. Que se termine ce jour sans fin.
Doute
« Un peu lasses aussi d’abattre seules la besogne, Agathe et Suzie se réjouissent de la venue au monde des petites vengeresses Ana et Madeleine. Leurs contributions – saillies, bons mots, reparties cinglantes, spéculations poétiques et vertigineux paradoxes – sont attendues avec une certaine impatience. »
Aurais-je mal interprété ce dernier billet qui me laisse penser que je suis en train de me prendre un poteau planté là par le diariste. N'avais-je pas lu auparavant dans des publications plus anciennes ce qui suit ?
« deux fillettes
oh la belle
(et suffisante)
ribambelle »
Larmes
Cette blessure — Leo Ferré
Ainsi chantait Leo Ferré quand au cœur de ma nuit, je m'aperçus de ma solitude. Elle était là, debout, devant moi. Elle me fixait effrontément. J'eus un élan de tendresse vers elle qui s'enfuyait déjà.
Survie
« Nous sommes tous des farceurs ; nous survivons à nos problèmes. »
En ces temps vulgaires où l'on mange des animaux gavés et torturés où l'on embrasse des enfants gâtés où l'on croise des familles entières, tu ne crains rien avec ton Cioran Bibliothèque de la Pléiade en main. L'arme absolue sur papier bible.