656
Les rêves nous accompagnent jusqu'au matin où l'on tolère encore de vivre au cas où l'on s'étonnerait encore de quelque chose de nouveau. La curiosité nous maintient en vie en nous obligeant à rester vibrants.
Vibrer à la nouveauté en devinant qu'on va mourir un jour prochain ou lointain.
S'étonner du changement qui s'opère lentement en nous qui sommes des visiteurs de la Terre, échappés du néant.
655
Icare, cet être de plumes qui vient d'engloutir un os énorme plutôt que de jouer avec. Aurais-je tué le grisard ?
Toi aussi Icare, avec ton gosier immense, tu pèches par gourmandise.
J'espère que je n'ai pas provoqué ton dernier sommeil...
654
Entendu lors de la diffusion d'un documentaire télévisé que les espèces sauvages se sentant menacées, par un prédateur ou un phénomène naturel, ont tendance à se reproduire davantage. En effet, en attendant l'Apocalypse, nous sommes déjà plus de 7 milliards d'individus.
Citation empruntée à mon peintre de mari : « Devant le chevalet tout le monde est égal ».
Impression d'être humaine : je vis déjà avec ton souvenir.
653
Quitter la terre et naviguer au cœur de la brume à la recherche d'un bateau fantôme, une goélette à quatre-mâts et à voiles d'étai d'une longueur de 134 mètres. Photographier l'invisible.
Et soudain, surgis de la brume, les passagers nudistes du Wind Star sur les ponts du navire. Au programme de leur escale une excursion à « la baie des cochons » au village naturiste de la station balnéaire. Les coquins sont parmi nous et cela me rassure.
Les grasses familles n'ont qu'à bien se tenir, pour une fois, devant les nouveaux envahisseurs qui ont soif d'aventures sexuelles.
652
(des enfants jettent des petites pierres dans ma direction alors que je photographie une scène)
MOI — Qui jette des pierres ?
LES ENFANTS — C'est pas nous !
LA MÈRE — C'est pas eux, désolée pour vous !
MOI — Désolée pour vous surtout, c'est vous qui vivez avec eux !
Parfois, on ne surveille pas son langage pour discuter avec des crétins qui fondent des foyers d'abrutis.
Ces gens-là nous bombardent avec leurs gosses, ils peuplent avec leurs semblables, ils fabriquent un monde qu'ils regardent s'écrouler en soupirant.
651
Oui mon ange, je te promets que nous irons voir le monde tel qu'il n'existe pas. Au-delà des promesses du malheur, il n'y a aucun espoir.
Je renonce à attendre la nouveauté, emmurée dans la solitude : j'ouvre un livre.
J'ouvre un livre pour échapper à ma solitude et je fais l'expérience d'une autre solitude qui tutoie le néant, aussi.
650
Pendant le ramadan, au lever du soleil, Icare, le grisard sans religion picore de la semoule de blé dur.
J'invente mes paniques intérieures comme si j'avais tort d'être en vie.
Avec l'avènement de la liseuse électronique et la disparition progressive des livres en papier, je me demande comment pourrai-je maquiller au stylo-bille une vitre tiède quand je prendrai des notes directement sur la page lue ?
649
Je m'en fiche, j'ai un grisard qui vole vers moi chaque jour.
La douleur nous a faussé compagnie hier au soir, elle a rejoint la colonie de grisards qui envahit la plage volcanique désertée par le vacancier. La douleur réapparaîtra quand nous ne l'attendrons plus. Fidèle.
Je pense à la dépouille de ma vieille tante décédée récemment, qui subit sa transformation macabre, à l'abri de la lumière dans la fraîcheur du caveau familial, au-dessus du cercueil de ma mère.
648
Toutes ces créations artistiques qui ne dévoilent rien du monde extérieur de leurs auteurs — décoratives.
Toutes ces créations artistiques qui dissimulent ce qu'il y a d'inédit en leurs auteurs — mièvres.
Toutes ces créations artistiques devant lesquelles notre imagination ne se modifie pas — ennuyeuses.
647
Impressionnant à quel point je ne sais rien faire d'autre de mon existence que la rater de mieux en mieux.
Icare, je finirai par capturer ton vol quand tu arrives du ciel pour te poser sur le muret en pierre de lave devant notre porte vitrée, derrière laquelle je capturerai aussi ton bâillement. Je veux tout retenir numériquement de toi.
La vie ne fait que passer, heureusement.