511
Écouter Bach et croire que Dieu a quelque chose à nous dire alors qu'il ne veut plus entendre parler de nous. Bach ou la magie de Dieu qui n'opère pas.
Laisser s'installer le silence qui fluidifie la pensée pour qu'elle s'écoule librement.
Admettre que plus rien n'est impossible.
510
Moi qui recherche systématiquement le motif du projet parental qui explique un acte procréatif, je suis rassurée quand ce père écrivain soigne ses fillettes qui deviennent, sous mes yeux de lectrice assidue, les personnages autofictifs d'une chronique littéraire quotidienne.
Cet acteur médiatique qu'on récompense grimace de bonheur en serrant son trophée, en levant la tête vers le ciel. Il est aux anges, il rit aux anges, son ange gardien ne le lâche plus, il laisse éclater sa joie en français : « Ouah, putain, génial, merci ! » Vive le cinéma muet !
Qu'il soit gratifié ou ignoré l'homme ne peut s'empêcher de croire qu'il le mérite.
509
CIORAN — Il faut prendre congé du monde avant qu'il ne s'effondre. Beaucoup de gens le savent déjà, et un sentiment indicible rend beaucoup de gens poètes.
LEONARD COHEN — Everybody knows.
ARAGON — Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
MARIE — J'ai cru trouver un nouveau monde dans les livres.
Je rêve que je m'éveille encore enlisée dans mes rêves sans appeler au secours car je dors toujours.
La vieille dame se regarde nue dans le miroir de son armoire : son corps tremble comme s'il cherchait à échapper à son regard.
508
Marie hésite à s'installer dans l'erreur et à s'y sentir comme chez elle.
Deux tourterelles turques se sont accouplées sur une branche du figuier nu, face à ma fenêtre. La femelle niche sur une enfourchure. Je crains que le goéland morose ne vienne mettre fin à ses roucoulades.
La cruauté n'est pas qu'une fiction télévisuelle, la cruauté est naturelle.
507
— Que lisez-vous en ce moment ?
— Je lis « À vau-l'eau », je poursuivrai avec « À rebours », puis enfin je terminerai avec « En rade ».
— Farceur ce Huysmans...
Les idées fixes comme des épingles plantées dans le thorax des papillons noirs.
La nuit, la route suspendue au-dessus de mon crâne incliné en arrière : je voyage dans le passé à des années-lumière de ce que je tolère à peine.
506
Puisque je ne t'ai pas fait venir parmi nous mon tout-petit à ne jamais naître, tes petons ne fouleront pas la terre non-promise, empoisonnée par ceux qui seraient tes semblables, entachée de leur sang.
Mon ange non-incarné, si tu savais tout le bonheur que je te donne parce que je ne te désire pas.
Mon non-désiré, tu n'ouvriras jamais de grands yeux face à ceux qui seraient tes congénères dont les yeux sont bandés pour l'éternité.
505
Si tu te retournes brusquement et que tu ne vois personne, cela signifie que tu n'étais pas un exemple à suivre. Estime-toi heureux alors d'aller tout seul nulle part.
Marie repousse toujours l'instant insaisissable, elle procrastine, elle rate le moment présent qui s'enfuit déjà.
Le moment qui revient parfois ne se ressemble plus, il porte le masque du regret.
504
Cet univers tagué mais policé où la sauvagerie bariolée éclate sur les rideaux de fer, où la culture est accessible au bout de mon doigt qui frôle les écrans tactiles. Cet univers visuel et contradictoire, qui m'informe de la colère des illettrés, ainsi que du savoir des chanceux de l'éducation m'épuise.
Comment arrêter le flot d'informations qui déferle dans mon cerveau qui se noie ?
Pour calmer mon esprit surexcité, je choisis un roman que je dérange de ma bibliothèque, je m'assieds, j'ouvre le livre et je lis. Je deviens enfin autrement.
503
La mégère massacre ses propres souvenirs en réinventant le désastre que fut son existence.
La mégère houspille tout le monde à tout propos jusque dans ses rêves où elle réprimande les protagonistes de ses cauchemars.
La mégère vitupère contre les poètes qui devinent sa profonde tristesse.
502
Les parents veulent ce qu'il y a de meilleur pour leur enfant. C'est la moindre des choses après l'avoir forcé à venir au monde.
Le hasard est entré dans la galerie que j'ouvre au public, un inconnu a évoqué le souvenir de ma défunte mère. Il a décrit un maigre et long fantôme, oui, il s'agit bien d'elle.
Le poison de l'absence gâte mon thé ce matin.