202
Il y a ceux qui se fabriquent des spectateurs qui les encouragent à vivre sous leurs yeux. Il peut s'agir d'amis virtuels des réseaux sociaux Internet ou bien de fillettes nées de leurs ébats amoureux ou bien encore de collectionneurs de leurs oeuvres créatives... Il y a aussi ceux qui veulent quitter la scène sans être vus.
Décidément, elle marche sur des charbons ardents en découvrant chaque jour la suite de son propre feuilleton existentiel.
L'orpheline est devenue paresseuse car à quoi bon faire quand on a plus de mère ?
201
On peut lire sur un mur de la salle d'attente du cabinet de dermatologie où j'ai mes habitudes : « RETROUVEZ LA PURETÉ, L'ÉCLAT ET LA TEXTURE D'UNE BELLE PEAU ». Il s'agit du slogan publicitaire d'une affiche ornée d'un visage à la peau lisse qui ne comporte aucune imperfection, des yeux grands ouverts qui scrutent les défauts des patients assis, vaincus par leur maladie chronique - inguérissable.
Arrogante beauté impassible, figée sur papier glacée, qui nous dévisage : es-tu le nouveau visage de Big Brother ?
Une peau aussi imparfaite que les pages noircies, raturées, biffées de mon carnet. Une peau illisible : un brouillon de soi.
200
Vous êtes les bienvenus au vernissage de la maison childfree : votre hôtesse accroche aux murs bleus du boudoir ses plaintes qu'elle a mises dans des cadres blancs. On dirait que des nuages décorent le ciel de ses pensées sans qu'aucun vent - soufflant de nulle part - ne les chasse.
L'idée se vengea d'avoir été délaissée et disparut sans laisser de trace.
L'impatience matinale lui fit ajouter des lettres à ses mots qui grandissaient, comme son esprit s'échappait pour rattraper le temps qui s'enfuyait avec son idée vexée.
199
Que de tristes figures je croise au bord de la mer au cours de la promenade dominicale et familiale. Que d'enfants jaloux qui traînent des pieds poussiéreux derrière leurs parents joyeux qui se tiennent par la taille. Que d'adolescents qui twittent leurs pensées familicides. Que de dimanches obligatoires à passer en famille sur les chemins praticables de l'ennui.
Elle broie du noir et triture les mots qui font des phrases molles.
Rechercher ce qui pourrait plaire : découvrir ce qui saurait déplaire.
198
À quoi bon résister encore plus longtemps à agrandir ma famille i-Chose ? Qu'est-ce qui me retient ? Qu'est-ce qui m'en empêche ? Quelle voix me susurre à l'oreille de ne pas m'engager plus avant dans la jungle Appléene ? Quel signe d'avertissement m'interdit de participer au safari maceux avec ses léopards des neiges et ses lions ?
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir. Est-ce la peur d'être mise en cage numérique ? Est-ce la crainte de la dispersion liberticide ? Est-ce l'intuition de m'aliéner aux i-Choses qui consolent de tout ?
Je reste immobile dans le non-choix : j'attends que l'écriture sèche mes larmes et que la lecture ravive ma joie.
197
Louis-Ferdinand Céline, maître du lyrisme de l'ignoble, utilisait de grosses pinces à linge en bois pour retenir les feuillets de ses écrits. Quel étonnant outil d'écrivain, la pince à linge !
Comme je voudrais être légère... un papillon... je suis lourde... une larme de plomb.
Elle commande électriquement les volets de sa maison childfree qui ne la protègent pas contre sa médiocrité vexée. Elle est dans le monde - courroucée.
196
[Bienvenue à Jean Prod'hom aujourd'hui...]
Quand le ciel s’assombrit, l’homme pense avec tristesse aux vies qu’il eût pu mener s’il en fût allé autrement. Il devrait au contraire se consoler en se rappelant que ce qui a existé un jour ressemble étrangement à ce qui n’est resté que possible, c’est-à-dire à ce qui n’existe pas.
195
À l'intérieur de sa salle de bain chauffée à l'hydrogène fusionné, elle vit au futur.
À bicyclette, je suis émue par la vision d'un arbre dont l'écorce est arrachée, son tronc fleuri de chrysanthèmes en plastique comme si l'arbre meurtri était pansé avec un bandage de marguerites des morts pour guérir sa plaie.
Une personne âgée entre dans l'officine où j'ai mes habitudes et signale : « Je suis perdue ! » La préparatrice en pharmacie lui vend alors un shampoing. Drôle d'époque.
194
Laisser la plus légère empreinte qui soit sur terre, ne rien ajouter à la biomasse, quitter la pièce dans laquelle on ne joue plus, ne s'attribuer aucun nouveau rôle, freiner sa chute dans le temps, occuper le néant par avance. Attendre nulle part ailleurs qu'ici et maintenant. Ecouter le chuchotement de l'air que l'on emprisonne dans ses poumons. Se taire enfin.
La supportable pesanteur du non-être.
Elle lave les vêtements qui ont irrité sa peau pendant la journée : la lessive effacera les traces de ses paniques urticantes.
193
Ils sont amoureux, ils redécouvrent ensemble les plaisirs élémentaires qu'offre la vie, ils s'enthousiasment à propos de la moindre chose à leur portée, ils rient bruyamment, ils se touchent sans arrêt, ils forment un jeune couple : une unité organique de jouisseurs.
Badineries et roucoulades avant la dégringolade. La fin du jeu est inévitable.
N'importe, les amants auront bien joué le jeu. Ils auront droit à une récompense : un enfant peut-être...