144
Elle se promène à l'intérieur de la maison childfree avec une idée en tête qu'elle désire rédiger sur un carnet mais elle s'arrête d'abord devant le réfrigérateur dont elle ouvre la porte pour y prendre deux clémentines. Ensuite elle referme la porte et pose les fruits sur la tablette de granit du bar. Enfin elle dépouille les clémentines de leur peau qu'elle jette à la poubelle avec son idée qui n'a pas résisté à l'attente.
N'avoir d'autre projet que celui de demeurer soi. N'être jamais ailleurs qu'en soi-même. Aborder dans son île. Oser l'occuper entièrement. Et rêver des autres...
Démographie galopante, urbanisation galopante : fuir la multitude gesticulante et hurlante.
143
La centenaire égrène les pilules de son pilulier électronique et voit mal s'effacer ses rêves en attendant le repos éternel qui tarde.
Que révolutionne-t-elle l'industrie cinématographique si tous ses héros révolvérisent ?
La mégère - autoritaire - embête le poète qui hésite à prendre des initiatives par crainte de l'invective.
142
Les nouveaux parents fanfaronnent pendant que leur nouveau-né s'époumone à hurler de rage contre la cigogne qui l'a apporté sur cette terre asphyxiée pour qu'il y vive cent années.
Une fillette qui fait la roue sur la plage : une roue d'engrenage qui entraînera forcément la vie.
Le grand célibataire - retardataire - désespère de trouver une sorcière pour assouvir ses besoins supplémentaires.
141
Elle regarde l'image de son cerveau obtenue par l'imagerie à résonance magnétique nucléaire : elle observe les circonvolutions cérébrales qui apparaissent clairement sur le tirage sur papier mat qu'elle a posé sur un chevalet de table. Elle se demande de quelles sensations peut s'émouvoir cette masse grise avec ses replis sinueux - plate. Elle sait maintenant d'où vient son ignorance quant à l'insondable mystère de l'univers.
Elle fera encadrer l'image de son cerveau : une « Vanité » moderne qui décorera un mur de son boudoir.
Tout finit par s'arranger même mal.
140
Le plus éprouvant pour nous ici-bas : l'admirable machine humaine qui fonctionne et dysfonctionne à notre insu ; les machines inventées par l'homme et fabriquées par des machines, que nous utilisons quotidiennement, dont nous ignorons les mécanismes. Toutes ces machineries qui promettent des dérèglements, des détraquements un jour prochain. Attente insupportable.
Chut ! j'écoute les conciliabules que tiennent mes organes dans le noir...
Vu une éolienne qu'une force incroyable a fait basculer en avant, les pales touchant presque le sol : on aurait pu croire qu'un enfant géant avait abandonné son jouet là, sur un immense terrain plat au bord de l'autoroute.
139
Dans la salle d'attente, elle est assise sur une chaise noire, usée, frottée, décolorée, anxieusement rabotée par les corps impatients des patients qui se livrent au spécialiste, un parfait inconnu mais savant.
Dès lors qu'elle aura quitté le siège de l'attente craintive, elle sera invitée à s'asseoir de nouveau sur une autre chaise face à l'inconnu qui lui révélera l'invisible.
De chaises en sièges elle promène son corps qui a une vie secrète.
138
Par quel nom désignerai-je mon angoisse aujourd'hui ? De quel nom baptiserai-je mon inquiétude intense du jour ? Chaque matin, une nouvelle raison de la nommer pour l'observer et l'apprivoiser. Ma fidèle angoisse de compagnie me console jusqu'au lendemain qui chantera encore faux.
Mon indétermination, ma procrastination me pousse à tout renvoyer aux calendes grecques. Je vis au sein d'un futur surchargé.
Aux promesses de l'enfance succède la détresse de l'épanouissement des grandes personnes.
137
Cette sauvagesse sort si peu de chez elle que lorsqu'elle se trouve nez à nez avec un être de chair et de sang doué de parole, elle éprouve un terrible vertige au bord des autres comme au penchant d'un cratère volcanique.
Une seule issue : sauve qui peut ! chacun pour soi ! Dans les cendres volcaniques s'y creuser un abri secret. Quitter les autres. Retourner chez soi.
Je me caresse toujours le premier soir, comme ça c'est fait ! bon débarras !
136
Elle parcourut durant de longs jours les rubriques historiques de l'Encyclopédie Universelle, elle eut une sensation de dégoût insurmontable à la lecture des faits historiques qui ressemblaient à une fable sanglante : elle recracha le sang des suppliciés de l'histoire.
J'aère la chambre de mon esprit tout rabougri.
Chaque jour elle se sauve dans ses lectures qui la sauvent.
135
Au temps des résolutions, je reste irrésolue.
Bourratif ce début d'année...
« C'est pas juste ! » s'exclame une fillette aux jambes de laine.
Aucune inquiétude ma petite, lorsque tu seras grande, tu ne te rebelleras même plus car tu seras épuisée par les fatigues de la maternité et la corvée de l'éducation de ta progéniture.